ENTRE-TEMPS DONNE-MOI LA MAIN

2001
Traductions: Anglais (Graywolf), Espagnol (Visor), Français (Le Castor Astral), Catalan (Proa), Russe (Guernica Press), Géorgien (Ilia University Press).

Le Père Larramendi, grammairien et jésuite, était connu pour être très adroit. Ce qui était pêché pour d’autres, ne l’était pas tant pour lui. Par exemple, il aimait beaucoup les bals, et faisait peu d’effort pour mettre en garde les paroissiens des supposés dangers qui guettaient celui qui danserait de nuit sous les porches de l’église. Il en faisait de même pour le chocolat. Il ne le considérait pas comme un caprice. Qui plus est, il aimait le chocolat et le dégustait de temps en temps, c’était son caprice.

Quand Larramendi mourut, on trouva un carré de chocolat sous son oreiller. Il avait agonisé plusieurs jours. Ce fut son dernier caprice. La découverte provoqua une grande discussion au sein de l’ordre. Certains jésuites invoquaient que Larramendi avait pêché sur son lit de mort et, que par conséquent, il ne pouvait pas l’enterrer selon le rite chrétien. Son corps devrait reposer hors des murs du cimetière. D’autres défendaient qu’une personne aussi importante que le grammairien ne pouvait pas subir une telle offense. Finalement, le bon sens l’emporta et les pères jésuites acquittèrent Larramendi pour son dernier caprice.

Un poème est comme ce carré de chocolat trouvé sur le lit de mort du Père Larramendi. Un poème est rythme, structure, mais surtout c’est sens. Un poème transmet toujours quelque chose de nouveau. Et, surtout, un poème parvient au lecteur à l’improviste, il arrive par surprise, comme ce carré de chocolat trouvé sous l’oreiller de Larramendi, un petit carré de chocolat, foncé et sucré.